Hallali

22. oct., 2018

Curieusement, les gens qui ringardisaient l’opposition droite-gauche, qui décrétaient que la lutte des classes était une vieillerie du XIX° siècle, sont les premiers à se précipiter depuis quelques jours dans une attaque d’une violence inouïe contre un parti politique qui selon eux ne devrait pas exister en France en 2018. Mitterrand avait effacé le PC, Hollande a effacé le PS. Il ne reste plus qu’une aberration extra-terrestre, un parti obsolète, archaïque, que l’on ne peut qualifier que par des adjectifs haineux : stalinien, castriste, chaviste, dictatorial, tyrannique, anti-progressiste. Mais qui a failli être au second tour de la présidentielle et constitue donc un véritable danger pour les dominants.

Plus récemment, on ne s’attaque même plus à son programme qui – tout le monde l’aura compris – ne plaît pas du tout aux banquiers et à leurs laquais politiques, experts auto-désignés et journalistes, y compris ceux qui se présentent comme hors-système et prennent les devants pour faire le sale boulot. Ce programme est leur bête noire : « Reprendre le contrôle politique sur l’argent incontrôlé qui nargue les Etats ; mettre un terme à cette toute-puissance financière qui, d’un seul clic, jette des millions de pauvres gens à la rue ou sur les routes de l’exil, qui pourrit la planète et condamne à mort nos enfants ; renverser le rapport de forces dans la lutte des classes : que la majorité l’emporte enfin sur la minorité qui l’exploite depuis des lustres. »

Non, faute de mieux on se rabat à présent sur l’argument ad hominem : « Leur chef est fou, il agresse les policiers, les magistrats et les journalistes. Il est temps qu’on l’enferme, surtout avant la campagne des européennes. » C’est vraiment le dernier degré de la haine, quand elle se sent vaincue au plan de l’argumentation, quand la panique saisit les dominants et qu’ils n’ont plus qu’un seul objectif : le faire taire de toutes les manières. Qu’il disparaisse enfin, qu’on lui colle une histoire de cul et que les affaires puissent continuer tranquillement. Si l’aboiement psychiatrique ne suffit pas il ne restera plus que le poison (à la russe), la décollation et le démembrement (à la saoudienne), ou l’enlèvement (à la chinoise). Ou, en cas d’échec, le coup de force militaire (Espagne, Chili, Argentine, Grèce, Algérie, Afrique en général…..), que l’ordre normal des choses soit restauré.

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Macron et les pauvres

13. juin, 2018

 

Peu à peu la pensée de Macron se précise.Tout ce qu’il avait voulu cacher pendant la campagne présidentielle finit par émerger. Il se lâche enfin, pensant avoir gagné les esprits. 

Sur les classes sociales d’abord. Le problème selon lui n’est pas qu’une petite caste vole l’argent à tous ceux qui produisent et ne leur reverse que des miettes. Le problème c’est que les plus nombreux, les pauvres, tout en pompant des sommes faramineuses d’aides sociales, continuent à rester pauvres, et leurs enfants aussi. C’est pareil pour l’éducation et la santé assure-t-il. 

Il a donc trouvé la solution : il faut arrêter de verser des sous aux plus pauvres, il faut les amener (les obliger ?) à devenir riches. Parce que si les riches continuent à leur verser quelques subsides ils les encouragent en fait à rester pauvres. Il faut au contraire agir en amont en les poussant sur la voie de l’enrichissement. Pour l’éducation c’est pareil : il faut éviter qu’il y ait des chômeurs à la sortie du système. Et pour la santé : il faut éviter qu’il y ait des malades qui viennent encombrer les hôpitaux. La solution c’est l’action en amont.

Il feint d’ignorer deux éléments essentiels : c’est que, pour que des riches deviennent super-riches, il faut bien qu’ils volent l’argent aux pauvres qui travaillent pour eux et produisent la plus-value (pourtant il assure avoir lu Karl Marx et le conseille même aux jeunes). Et qu’ils le placent dans les paradis fiscaux pour le préserver de l’impôt et éviter de contribuer au service public qui est un reversement de plus-value. 

Et que si on permet aux pauvres de devenir riches ça signifie qu’ils vont s’emparer d’une part supplémentaire de gâteau que les super-riches n’auront plus. Ces derniers vont-ils être d’accord pour se laisser dépouiller de ce revenu qu’ils avaient réussi à s’attribuer par la violence économique du salariat, même si c’est Macron qui le leur demande gentiment ?

Mais il semble confiant : ça « nous » coûtera moins cher de toute façon que l’ancien système. Nous, les riches, qui sommes les victimes de cet ancien système injuste, dispendieux et inefficace. C’est ce que disait un patron américain : un esclave coûte finalement plus cher qu’un salarié, alors vive l’abolition de l’esclavage : nous ferons des économies de main d’œuvre.

Pour les migrants il a trouvé la même solution : l’Afrique fait beaucoup trop d’enfants, c’est ça le problème qu’il faut régler là aussi en amont.

Macron c’est le président de l’action en amont. Et il a même intitulé son dernier livre « Révolution », clin d’œil à Karl Marx qui aurait été d’accord sur un seul point : il faut empêcher qu’une classe d’exploiteurs s’empare de la richesse produite par tous, en amont.

 

Lettre

24. avr., 2018

« Monsieur le Président je vous fais une lettre que vous lirez peut-être si vous avez le temps. »

Vous avez recueilli 18,19 % de voix des inscrits au premier tour de la présidentielle, (soit moins que Jacques Chirac crédité de 19,88 % en 2002) et puis au second tour une majorité des suffrages exprimés pour éliminer le Front national, comme Chirac en 2002. Et vous avez fait comme lui : une fois élu vous avez dit que tout le monde avait voté pour votre programme et que vous aviez pour mission de l’appliquer. Or il se trouve, comme la fois d’avant, qu’une majorité de gens qui avaient voté pour vous pour éviter le pire ne sont pas du tout d’accord sur votre programme ultra-libéral, de privatisations et d’effacement du service public, de mépris des syndicats et de passage en force en court-circuitant la représentation nationale. Alors, qu’allez-vous faire maintenant ? continuer à mentir et à faire semblant de croire que tous ceux qui ont voté pour vous étaient d’accord avec votre projet ? travestir les intentions des électeurs ? ou devenir honnête et accepter d’écouter le message de ceux qui vous ont élu juste pour empêcher un désastre ? 

Les signaux que vous avez envoyés depuis un an ne sont pas très encourageants : les gens qui ne sont rien, les professionnels du désordre, les nantis, les privilégiés, les assistés, les fainéants, les égoïstes qui veulent conserver leurs avantages acquis… Votre mépris de classe s’étale partout, même si vous essayez de le contenir à la demande de vos conseillers en communication. Mais l’instinct de caste ne trompe pas, il finit toujours par s’exprimer, comme l’inconscient.

Alors, quand aurez-vous le courage de devenir le Président de tous les Français ?

Bourdieu 1995

24. mars, 2018

 

Aujourd'hui je laisse la parole à Pierre Bourdieu, à la gare de Lyon le 12 décembre 1995, contre le plan Juppé — pas un mot à changer :

 

" Je suis ici pour dire notre soutien à tous ceux qui luttent, depuis trois semaines, contre la destruction d'une civilisation, associée à l'existence du service public, celle de l’égalité républicaine des droits, droits à l'éducation, à la santé, à la culture, à la recherche, à l'art, et, par-dessus tout, au travail. Je suis ici pour dire que nous comprenons ce mouvement profond, c'est-à-dire à la fois le désespoir et les espoirs qui s'y expriment, et que nous ressentons aussi ; pour dire que nous ne comprenons pas (ou que nous ne comprenons que trop ) ceux qui ne le comprennent pas, tel ce philosophe qui, dans le Journal du Dimanche du 10 décembre, découvre avec stupéfaction "le gouffre entre la compréhension rationnelle du monde", incarnée selon lui par Juppé – il le dit en toutes lettres –, "et le désir profond des gens".

Cette opposition entre la vision à long terme de "l'élite" éclairée et les pulsions à courte vue du peuple ou de ses représentants est typique de la pensée réactionnaire de tous les temps et de tous les pays ; mais elle prend aujourd'hui une forme nouvelle, avec la noblesse d’État, qui puise la conviction de sa légitimité dans le titre scolaire et dans l'autorité de la science, économique notamment : pour ces nouveaux gouvernants de droit divin, non seulement la raison et la modernité, mais aussi le mouvement, le changement, sont du côté des gouvernants, ministres, patrons ou "experts"; la déraison et l'archaïsme, l'inertie et le conservatisme du côté du peuple, des syndicats, des intellectuels critiques.

C'est cette certitude technocratique qu'exprime Juppé lorsqu'il s'écrie: "Je veux que la France soit un pays sérieux et un pays heureux". Ce qui peut se traduire: "Je veux que les gens sérieux, c'est-à-dire les élites, les énarques, ceux qui savent où est le bonheur du peuple, soient en mesure de faire le bonheur du peuple, fut-ce malgré lui, c'est-à-dire contre sa volonté ; en effet, aveuglé par ses désirs dont parlait le philosophe, le peuple ne connaît pas son bonheur – en particulier son bonheur d'être gouverné par des gens qui, comme M. Juppé, connaissent son bonheur mieux que lui". Voilà comment pensent les technocrates et comment ils entendent la démocratie. Et l'on comprend qu'ils ne comprennent pas que le peuple, au nom duquel ils prétendent gouverner, descende dans la rue – comble d'ingratitude ! – pour s'opposer à eux.

Cette noblesse d’État, qui prêche le dépérissement de l’État et le règne sans partage du marché et du consommateur, substitut commercial du citoyen, a fait main basse sur l’État ; elle a fait du bien public un bien privé, de la chose publique, de la République, sa chose. Ce qui est en jeu, aujourd'hui, c'est la reconquête de la démocratie contre la technocratie : il faut en finir avec la tyrannie des "experts", style Banque mondiale ou F.M.I., qui imposent sans discussion les verdicts du nouveau Léviathan ( les "marchés financiers" ), et qui n'entendent pas négocier mais "expliquer" ; il faut rompre avec la nouvelle foi en l'inévitabilité historique que professent les théoriciens du libéralisme ; il faut inventer les nouvelles formes d'un travail politique collectif capable de prendre acte des nécessités, économiques notamment ( ce peut être la tâche des experts ), mais pour les combattre et, le cas échéant, les neutraliser.

La crise d'aujourd'hui est une chance historique, pour la France et sans doute aussi pour tous ceux, chaque jour plus nombreux, qui, en Europe et ailleurs dans le monde, refusent la nouvelle alternative : libéralisme ou barbarie. Cheminots, postiers, enseignants, employés des services publics, étudiants, et tant d'autres, activement ou passivement engagés dans le mouvement, ont posé, par leurs manifestations, par leurs déclarations, par les réflexions innombrables qu'ils ont déclenchées et que le couvercle médiatique s'efforce en vain d'étouffer, des problèmes tout à fait fondamentaux, trop importants pour être laissés à des technocrates aussi suffisants qu'insuffisants : comment restituer aux premiers intéressés, c'est-à-dire à chacun de nous, la définition éclairée et raisonnable de l'avenir des services publics, la santé, l'éducation, les transports, etc., en liaison notamment avec ceux qui, dans les autres pays d'Europe, sont exposés aux mêmes menaces ? Comment réinventer l'école de la République, en refusant la mise en place progressive, au niveau de l'enseignement supérieur, d'une éducation à deux vitesses, symbolisée par l'opposition entre les grandes écoles et les facultés ? Et l'on peut poser la même question à propos de la santé ou des transports. Comment lutter contre la précarisation qui frappe tous les personnels des services publics et qui entraîne des formes de dépendance et de soumission particulièrement funestes dans les entreprises de diffusion culturelle ( radio, télévision ou journalisme ), par l'effet de censure qu'elles exercent, ou même dans l'enseignement ?

Dans le travail de réinvention des services publics, les intellectuels, écrivains, artistes, savants, etc., ont un rôle déterminant à jouer. Ils peuvent d'abord contribuer à briser le monopole de l'orthodoxie technocratique sur les moyens de diffusion. Mais ils peuvent aussi s'engager, de manière organisée et permanente, et pas seulement dans les rencontres occasionnelles d'une conjoncture de crise, aux côtés de ceux qui sont en mesure d'orienter efficacement l'avenir de la société, associations et syndicats notamment, et travailler à élaborer des analyses rigoureuses et des propositions inventives sur les grandes questions que l'orthodoxie médiatico-politique interdit de poser : je pense en particulier à la question de l'unification du champ économique mondial et des effets économiques et sociaux de la nouvelle division mondiale du travail, ou à la question des prétendues lois d'airain des marchés financiers au nom desquelles sont sacrifiées tant d'initiatives politiques, à la question des fonctions de l'éducation et de la culture dans des économies où le capital informationnel est devenu une des forces productives les plus déterminantes, etc.

Ce programme peut paraître abstrait et purement théorique. Mais on peut récuser le technocratisme autoritaire sans tomber dans un populisme auquel les mouvements sociaux du passé ont trop souvent sacrifié, et qui fait le jeu, une fois de plus, des technocrates.

Ce que j'ai voulu exprimer en tous cas, peut-être maladroitement – et j'en demande pardon à ceux que j'aurais pu choquer ou ennuyer –, c'est une solidarité réelle avec ceux qui se battent aujourd'hui pour changer la société : je pense en effet qu'on ne peut combattre efficacement la technocratie, nationale et internationale, qu'en l'affrontant sur son terrain privilégié, celui de la science, économique notamment, et en opposant à la connaissance abstraite et mutilée dont elle se prévaut, une connaissance plus respectueuse des hommes et des réalités auxquelles ils sont confrontés."

Pierre Bourdieu (1930-2002)

ZAD

20. janv., 2018

On nous prévient qu’il n’y aura pas de zone de non-droit sur la ZAD de Notre-Dame des Landes. Bien.

Mais s’est-on préoccupé jusqu’ici des autres zones de non-droit ? 

Dans toutes les cités des grandes ou petites villes où ni pompiers ni policiers ne peuvent pénétrer, et où les voitures qui viennent protéger les caméras de surveillance sont incendiées parce qu’elles dérangent ces messieurs qui font leur business ; dans les prisons où les surveillants sont agressés à l’arme blanche avec l’intention de viser la carotide ; dans les tribunaux où les juges sont insultés et menacés dans leur vie privée par les petits caïds qui ne supportent pas de s’être fait coincer ; dans les hôpitaux où les travailleurs des urgences sont insultés et agressés chaque fois que ça ne va pas assez vite ou qu’ils annoncent que le patient devra payer quelque chose ; dans les lycées et les collèges où tout enseignant qui veut maintenir le calme et le respect nécessaires à l’éducation se fait insulter et tabasser.

Des zones de non-droit il y en a beaucoup pour les très riches aussi : Bahamas, Îles Vierges, Panama... Il s'agit ici de hors-la-loi, de véritables délinquants de haut vol, en col blanc, invisibles, mais dont le pouvoir de nuisance est d'autant plus efficace. Ceux que l'on devrait accuser comme responsables de l'explosion des inégalités, des désastres guerriers et climatiques, et des vagues d'émigration qui s'en suivent. Tous ceux qui nous mènent droit dans le mur : mais ils s'en fichent, leur vision égoïste à court terme leur laisse encore quelques décennies de répit. Après ils seront morts, gavés : après moi, le déluge !

Les zones de non-droit ont essaimé partout ces dernières années, parce que certains ne respectent plus la loi, n’adhèrent à plus rien, se croient tout permis, sont dans la toute-puissance, ou sont en guerre contre le pays où ils sont nés, qui les accueille ou qui a accueilli leurs parents. Les voyous, petits et grands, lèvent la tête et sont dans l’arrogance et l’affrontement.

Alors pourquoi faudrait-il envoyer l’armée contre les zadistes et pas contre tous les autres ? 

Les zadistes sont dangereux parce qu’ils refusent le système économique dominant et qu’ils prouvent depuis plusieurs années qu’un mode de vie alternatif est possible, aux antipodes de tout ce qu’on nous présente comme naturel et normal, en tout cas obligatoire et incontournable, dans tous les domaines : agriculture, alimentation, construction, échanges, relations sociales, éducation, formation, et surtout la sacro-sainte propriété privée des moyens de production.

Les petits voyous ne gênent pas les banquiers parce qu’ils ne remettent pas en cause le système, ils font juste du business eux aussi, à leur manière, mais ils partagent les valeurs de la classe bourgeoise dominante : faire du fric par tous les moyens, avec de la violence visible ou cachée, avec des flingues ou des ordinateurs. Ils sont du même côté. Des frères en quelque sorte, ou des cousins.