7. sept., 2017

La Belle et la Bête

 

Avec le dernier film d’ Amat Escalante (« La région sauvage »), nous comprenons enfin pourquoi la belle s’attache à la bête. Non pas parce qu’elle a deviné sous l’apparence monstrueuse une âme noble et affectueuse. Mais parce que cette bête-là est une dispensatrice de jouissances extrêmes, inédites, inouïes, inespérées, incomparables à tout ce qu’elle avait connu jusque là : des petits coups rapides et frustrants, subis la nuit de la part d’un mari homosexuel honteux et homophobe, qui ne jure que par la sodomie ; des masturbations post-coïtales sous la douche, pour faire tomber la tension et apaiser le manque. La bête, elle y revient et en redemande, attirée par la copine qui y a goûté mais qui ne peut plus, parce que la bête s’est lassée d’elle et l’a même mordue pour lui signifier le rejet : parce que la bête, quand on ne lui plaît pas ou plus, peut être dangereuse et même meurtrière. Et pourtant « c’est la plus belle chose que tu vas voir dans ta vie » (« Es lo mas hermoso que vas a ver en tu vida »).

Escalante ose ici aborder frontalement et de manière réaliste le fantasme que le conte n’effleurait même pas : la confrontation directe au territoire inexploré et interdit de l’animalité refoulée, aux pulsions archaïques (libido et violence, originairement liées).

Il l’intègre à une histoire qui relève de la science-fiction, du fantastique et de la fable psychanalytique, métaphysique et existentielle : une météorite noire qui tombe dans une région perdue du Mexique et creuse un cratère dans lequel tous les animaux se précipitent pour copuler ; une bête qui en sort, adoptée par un vieux couple de savants marginaux et logée dans une remise en bois, un poulpe géant dont les multiples bras tentaculaires, souples et visqueux, viennent entourer, caresser, pénétrer et mener la proie jusqu’à l’extase.

Cette irruption extra-terrestre apporte aux terriens, animaux et humains, un champ magnétique libidinal qui les attire inéluctablement et qui démultiplie leur capacité orgastique (on pense à Wilhelm Reich et à l’orgone). La bête elle-même (mâle ou femelle ?) semble jouir de procurer cette jouissance à ses « proies », femmes ou hommes. Ou les tue si ça ne lui convient plus.

Du côté des textes on pense à Freud (« L’inquiétante étrangeté »), à Bataille (« L’érotisme ») et aux Surréalistes.

Du côté des films à Buñuel, Ridley Scott, Lynch, Carpenter, Cronenberg, Lars von Trier (« Nymphomaniac »), Jonathan Glazer (« Under the skin ») ou Carlos Reygadas (« Post tenebras lux »).

On est là dans la fascination addictive pour la démesure de la jouissance, son excès et son risque (jusqu’à la mort).

Et aussi dans la libération des dominés (femmes et homosexuels), broyés par une société hypocrite et machiste, intolérante et violente, qui perçoit à juste titre l’irruption de la jouissance, recherchée et assumée jusque dans la transgression, comme la subversion majeure.