7. mars, 2017

Big Little Lies

 

Une nouvelle série américaine courte (7 épisodes) sur OCS City, réalisée par Jean-marc Vallée sur un scénario de David Edward Kelley, d’après un roman de Liane Moriarty, avec un casting fabuleux : Laura Dern, Nicole Kidman, Reese Witherspoon, Shailene Woodley, Zoë Kravitz…

Une ville californienne au sud de San Francisco : Monterey. L’Océan Pacifique omniprésent.

Des mères de famille vivant dans des villas luxueuses et tenues d’assurer leur rang dans cette petite communauté où tout le monde s’observe, se compare et se jalouse. On a déjà vu.

L’arrivée d’une jeune mère, célibataire et pauvre, avec un passé obscur. Aussi.

On apprend dès le début que quelqu’un (on ne sait qui) est mort au cours d’une fête scolaire, assassiné ? par qui ? On ne sait pas. On espère le savoir à la fin. Classique.

Le thème est rebattu, les techniques filmiques conventionnelles : le spectateur, attiré au début par les actrices, sait à quoi s’attendre et redoute la déception finale liée à la banalité du dénouement.

 

Pourtant, dans cet amas répulsif, quelque chose accroche l’attention et pimente l’affaire. Le scénariste n’a pas eu peur de mettre en jeu à plusieurs reprises un contenu psychologique un peu casse-gueule : des relations sexuelles violentes entre adultes mariés et consentants.

Il installe de ce fait la jouissance perverse, sadomasochiste, au cœur des secrets de ses personnages, lisses et hypernormaux en surface. Et il complète cette dimension par le discours de certains des protagonistes, très conscients de ce qui se passe entre eux, terrifiés et honteux de ce qu’ils pensent être la monstruosité de leur vie intime cachée.

 

Pour ce seul aspect, cette série mérite un brin d’attention.

 

Le cinéma porno nous a imposé depuis longtemps ses figures obligées, stéréotypes mécaniques et dégradants d’une sexualité bornée à la domination violente de l’homme, acceptée et appelée par la femme.

Freud a tenté de nous éclairer sur cette dimension en énumérant les stades oral, sadico-anal, phallique, et en nous persuadant que toutes ces pulsions partielles, témoins de la perversité polymorphe de l’enfant, tendraient idéalement à se résoudre dans un aboutissement génital adulte qui les intégrerait en les contrôlant et les harmonisant. Happy end.

 

Mais cette série exhibe au contraire la persistance obstinée de pulsions non refoulées, non sublimées, non contrôlées, brutes et primitives, et qui déstabilisent le sujet lorsqu’il doit se rendre à l’évidence : sa jouissance passe par là, nécessairement et exclusivement.

" Comment puis-je jouir d’infliger ça à celui ou celle que j’aime ? Comment puis-je jouir de subir ça de la part de celui ou celle que j’aime ? Comment le terrain de la pure violence peut-il être pour nous deux celui de la plus forte jouissance ? "

 

Voilà les questions qui remontent lorsque deux de nos héros rencontrent une thérapeute de couple.

 

Ces questions résonnent en chacun de nous, s’il ne refuse pas d’interroger sa propre expérience de la jouissance dans ses formes extrêmes.

 

Ces questions traversent toute l’histoire de la psychanalyse dans ses approches de l’énigme du féminin et du masculin, dans ses tentatives d’interprétation des paroxysmes de l’orgasme, de la petite-mort.

 

Jacqueline Schaeffer par exemple en 1997 (dans Le refus du féminin) avait osé parler de la jouissance féminine comme d’une expérience rare et unique, de lâcher-prise et de laisser-aller, à laquelle la femme ne pouvait accéder qu’en acceptant d’être dominée par un homme, d’abandonner le moi et ses défenses, et de se laisser envahir par l’inconnu. La jouissance comme éclatement, perte des limites et perte de soi. Expérience psychotique…Tollé des féministes !

 

Nous pourrions étendre à l’homme cette analyse, et généraliser : l’accès à la jouissance nécessite une brèche qui s’ouvre dans les défenses du moi et par laquelle peut s’engouffrer l’innommable. Cette brèche est rendue possible par une sorte d’acquiescement préconscient du sujet, qui pressent que quelque chose d’unique est en train de l’appeler et qu’il doit s’y livrer pour le laisser advenir.

 

On comprend que ce qui affleure ici, dans cette série très américaine et très banale, touche à un noyau secret, universel et d’une inquiétante étrangeté, frôlé par les surréalistes et Georges Bataille, et dont la théorie reste à faire.