12. janv., 2015

Le sacré et le blasphème

 

Je suis écoeuré par le papier de Jacques-Alain Miller sur « Le retour du blasphème » publié dans Le Point (N° 2209 daté du 15/01/2015). 

 

Sans jamais prendre franchement position, mais, subtilement et par sous-entendus, il nous renvoie à une décision que nous devrions prendre, nous, "la France" : il nous laisse entendre que les dessinateurs de Charlie Hebdo sont allés trop loin, qu’ils ont manqué de respect à un groupe de croyants, qu’ils ont bafoué leur sentiment du sacré, qu'ils se sont pris le retour de bâton, et que nous n'aurions pas le droit de dire aujourd’hui en France, comme Marx, que « la religion est l’opium du peuple ».

 

Plus pervers encore il nous dit que le choix serait entre le maintien de notre position laïque pure et dure d'occidentaux privilégiés, qui ne pourrait que nous amener à renvoyer chez eux tous les "allogènes" qui n’ont pas le même sacré que nous (allusion à Eric Zemmour, et donc bien sûr inacceptable) et mettre de l’eau dans notre vin, passer un compromis sur la laïcité (le voile, la polygamie, les oukases sur la musique, la piscine, la cantine, les cours de biologie ou de gym ?) et sur l’humour : ne pas se moquer de l’Islam (ne rien en dire, ne rien en penser ? ne pas le tourner en ridicule ?) L’Islam étant la religion des pauvres immigrés, il serait intouchable ? il faudrait le sacraliser ? sinon ce serait leur manquer de respect ?

 

Tout ceci est d’une particulière mauvaise foi. Car l’équipe de Charlie Hebdo ne s’est jamais moquée des musulmans qui vivent en France en paix et qui pratiquent leurs rituels comme les autres croyants, juifs ou chrétiens, dans le respect de la laïcité c'est-à-dire sans prétendre imposer leurs coutumes aux autres. Ils se sont par contre toujours attaqués aux clergés de toutes les religions, aux grands manitous, aux manipulateurs de tout bord, intéressés surtout par leurs positions de pouvoir, et quel meilleur moyen d’asseoir son pouvoir que de prétendre le tenir de Dieu. Intouchable ! 

 

Mais ils se sont surtout attaqués ces dernières années au fascisme vert qui, sous couvert de retour à un Islam authentique, vise à mettre en place chez nous, comme il l'a fait ailleurs par le passé, une organisation sociale médiévale, obscurantiste, militaire et machiste, totalement délirante et dépassée, régissant tous les aspects de la vie privée, et dont les femmes et les petites filles seraient bien sûr les premières victimes : le retour à l’ordre moral passe toujours bizarrement dans ce cas par la remise des femmes au pas.

Un délire, même s'il est partagé par plusieurs, doit être appelé un délire : non ?

 

C’est avec ça que nous devrions passer un compromis ? Qu’en pensent nos amis musulmans tunisiens,marocains, algériens, français ou égyptiens, démocrates et laïcs ?

 

Il est d’autre part assez curieux qu’un psychanalyste évite aussi soigneusement les questions de la psychopathie, du narcissisme, de la pulsion de mort, de la virilité violente, de la mégalomanie paranoïaque, et laisse entendre que nous avons affaire simplement à des opinions, des systèmes de valeurs, des croyances et des idéologies, à respecter donc, et à tolérer.

 

Je suis donc écoeuré, mais pas étonné, que ces propos viennent du pape de l’église lacanienne, gendre du fondateur et donc héritier légitime en ligne directe. Qu’il défende le sacré et reparle de blasphème ne m’étonne pas. Son groupe a toujours fonctionné sur des principes très clairs : un dogme, des tics de langage à imiter comme signe de reconnaissance, un jargon à répéter rituellement, un adoubement par les parrains, une allégeance et une soumission, et surtout des positions de pouvoir dans l’Université qui assurent le recrutement d’étudiants pris d’abord comme disciples puis comme analysants avec la perspective de devenir analystes un jour, ou mieux, représentants et défenseurs du groupe dans l’Université. Tout ceci avec l’alibi d’une position politique à gauche (marxiste même à une certaine époque !) qui fait partie du marketing.

Ma petite entreprise ne connaît pas la crise.