31. oct., 2014

La Mommy de Dolan

Enfin le film que nous attendions sur ces enfants étiquetés d'abord hyperactifs ( TDAH : trouble déficit de l'attention et hyperactivité) puis psychopathes à l'adolescence (trouble grave de la personnalité antisociale). Les patates chaudes que la famille ne supporte plus et que les diverses institutions se refilent au moindre prétexte : " notre institution n'est plus adaptée ".

Un film fort, juste, fin, qui nous emporte dans ce maelström de l'argot québecois ( le Joual, charriant comme un torrent des mots de français, d'anglais et de langues inconnues, avec une fuckisation généralisée des énoncés ) qui manifeste à la perfection l'autre maelström, celui des pulsions sous-jacentes, avec cette violence toujours sur le point d'exploser, irrépressible, mais toujours déclenchée par un mot malheureux, par le mépris, le rejet, la déception des attentes, les a priori, les agressions verbales des proches ou des autres.

Un film sur un couple mère-fils définitivement inséparable, avec un père mort dont l'ombre est du même coup omniprésente, et un fils le cherchant désespérément, prenant sa place faute de trouver la Loi qui lui assignerait la sienne.

Une mère aimante (une mère peut-elle trop aimer ?), trop vivante, trop excitante, qui abandonne et qui reprend puis qui rejette encore quand elle n'en peut plus ou ne veut plus ; un fils amoureux fou de sa mère, jaloux comme un tigre et répondant au quart de tour aux provocations de celle-ci, à l'exhibition de sa capacité de séduction envers les hommes.

Une personnalité qui alterne entre les moments de tendresse fusionnelle, régressive, infantile ou protectrice, et les moments de haine et de rage totale où l'autre devient le mal absolu qui doit être détruit ; des moments aussi où cette haine trop envahissante ne peut que se retourner contre soi.

Et puis cette rencontre extraordinaire avec la voisine d'en face, une institutrice qui a presque perdu la parole et qui tente de bégayer tant ce qu'elle vient de vivre et que nous ignorerons jusqu'au bout semble énorme : le choc peut-être avec un élève du même profil ? l'agression ? de la part de qui ? ou avec son propre fils peut-être, qui n'est plus là ? pourquoi ? où est-il ? que lui a-t-elle fait ?

Le miracle a lieu un instant, avec même le format de l'image (carré et étouffant pendant presque tout le film) qui est élargi brusquement en rectangle par le jeune lors d'une scène d'euphorie, de joie et de libération (caddie et bicyclettes en fête).

Avec toujours le trop, l'excès : d'amour, de vie, de nourriture, de musique, de bruit, de cris, de caddies pleins, d'énergie débordante ; et la mère qui toujours rappelle au cadre qu'elle est incapable de fixer et de tenir elle-même.

Puis la réalité de la mauvaise image de soi qui revient brutalement avec la phlébotomie dans le supermarché et la décision de placement en hospitalisation prise par la mère pour qu'il bénéficie de soins : et les premiers "soins" qu'il reçoit qui relèvent de la pure violence (coups de poings, taser puis camisole).

Il s'en échappe, mais le film se termine par une non-image (un noir) qui nous laisse sur une non-réponse : s'évade-t-il de l'hôpital ou se suicide-t-il en sautant au bout du couloir par une fenêtre, dans une reprise de la scène finale de " Vol au-dessus d'un nid de coucou " ? Nous ne saurons pas.

 

Comment Xavier Dolan a-t-il pu survivre à tout ça ?

En faisant des films sans doute, furieusement, et sans pouvoir jusqu'ici s'arrêter d'en faire.