3. juil., 2014

Transfert et fin de l'analyse

Quand un psychothérapeute décide de prendre sa retraite (ce qui fut mon cas récemment...) il lui arrive de déclencher des réactions qui accélèrent le travail entrepris, comme si la fin annoncée et l'urgence de conclure donnaient un carburant nouveau et efficace au travail, ou comme s'il fallait justifier la fin : que l'on arrive à achever cette thérapie, et qu'elle ne soit pas simplement interrompue et mise en suspens.

 

Le plus souvent les réactions en restent à des phrases du type " vous allez me manquer " ou peuvent aller jusqu'à " que vais-je faire sans vous ? "

Mais parfois, l'irruption de la fin annoncée peut provoquer une prise de conscience brutale accompagnée d'une verbalisation pertinente qui produit brusquement une interprétation du transfert par le patient lui-même, ce qui est vraiment la fin idéale de l'analyse.

 

Le patient peut tout à coup désigner ainsi la place qu'il vous avait attribuée, le rôle qu'il vous confiait et dont il veillait attentivement à ce qu'il soit rempli par vous scrupuleusement.

 

Il peut ainsi vous dire que le cadre que vous lui aviez proposé (une séance par semaine le jeudi soir par exemple) était pour lui un espace sûr où il savait que sa parole pourrait se produire, sans interdit, sans limite, sans rejet, sans jugement de valeur, un lieu d'accueil sans condition et d'acceptation totale de sa singularité.

 

Il peut parfois même aller jusqu'à interpréter cette place qu'il vous avait assignée comme étant celle d'un substitut des rôles fondamentaux : le père garant de la sécurité du cadre, la mère nourrissant par des paroles apaisantes et absorbant la détresse dans un cocon consolatoire, parfois les deux mêlés dans une figure parentale à deux têtes.

 

Il peut même aller jusqu'à oser dire que ce qui s'est passé là est du registre de l'amour, non pas l'amour des amoureux, toujours menacé d'essoufflement et d'extinction, mais plutôt analogue à celui qui existe entre une mère et son enfant : définitif, inextinguible ; comme si la relation thérapeutique lorsqu'elle est authentiquement engagée n'était plus menacée par le temps. Il s'est passé là quelque chose de radical et d'irréversible. Ce lien demeurera malgré la distance et l'absence : " vous serez toujours celui qui m'a porté dans ma tentative de survie ".

 

Le départ du thérapeute peut permettre la verbalisation de tout ce soubassement émotionnel et rendre brusquement visible la force de ce lien, rendu possible par l'arbitraire et la ritualisation du cadre, de cette relation professionnelle et commerciale qui protège et favorise un lâcher-prise complet, sans crainte d'une retombée sociale.